Le son du grisli

C’est à la demande Kjell Bjørgeengen que Keith Rowe et John Tilbury se sont retrouvés en studio, les 17 et 18 juillet 2014. Il s’agissait de mettre en musique une installation vidéo de l'artiste : si le beau coffret nous prive de l'image, il n’en consigne pas moins quatre disques capables de remplir cet écran noir aux airs de reps qui a commandé les couleurs de l’objet.

Partageant avec Rowe et Tilbury un goût pour la poésie de Beckett, Bjørgeengen nomme, dans un livret, le titre du dernier poème de l'écrivain, What is the word : voir —/ entrevoir — / croire entrevoir — / vouloir croire entrevoir — / folie que de vouloir croire entrevoir quoi — / quoi — / comment dire. Il suffira de substituer « entendre » à « entrevoir » pour chercher ensuite à dire comment le duo est parvenu à emprunter à Beckett son savoir-faire sur le fil.

En équilibre, ce sont là d’autres silences et d’autres rumeurs, des accords en progrès (au début de la troisième partie, Tilbury lui-même les dit, une fois n’est pas coutume, « envahissants ») ; en déséquilibre, un piano timide d’où chutent de rares notes et des bruits divers jetés dans l’espace (crissements et crépitements, bourdons graves, ronronnements de moteurs et air de violon que diffuse la radio…).

Peut-être la vidéo montre-elle, malgré ses noirs, deux surfaces planes qui se frôlent et, pour peu qu’on les envisage à distance, ne font bientôt plus qu’une, agacée bientôt par les lignes de fuite qu’arrange la bande-son : Enough Still Not to Know, qui atteste à son tour, comment dire… que Keith Rowe et John Tilbury font à la manière de Pénélope, soit : pour mieux défaire ensuite, en secret.